Archives, Communs, mémoire

Lise Palacios Le Bournot, bannie de Wikipedia

Ce 21 février 2024, jour de l’entrée au Panthéon de Mélinée et Missak Manouchian, les premiers étrangers et communistes résistants pendant la Seconde Guerre mondiale au Panthéon, j’ai écrit un article sur Wikipedia sur Lise Palacios Le Bournot, qui a co-dirigé un maquis dans le Morvan en 1943-44 puis qui contribua après-guerre à la démocratisation de la culture, en participant à l’animation d’un réseau des ciné-clubs national et international.

Et pourtant il est difficile de trouver pour Lise Palacios Le Bournot les « preuves de la notoriété » demandées par Wikipédia France pour justifier la création d’un article dans cette encyclopédie collaborative en ligne : pas « d’ouvrage de référence dans le domaine », à peine « des coupures de presse de niveau national ». Le fait qu’elle ait reçu une décoration nationale (la croix de guerre) était pourtant indiqué comme un critère d’éligibilité, mais cet argument n’a pas été retenu, puisque l’article a été supprimé moins de 12h après sa création avec l’explication suivante :

Autre écueil pour mener des recherches, la disparition de son nom de jeune fille espagnole dans son nom d’épouse, un mode d’effacement bien français : c’est grâce au travail d’Aurore Callewaert, directrice du musée de la Résistance de Saint-Brisson, sur la résistance des femmes que j’ai découvert les origines espagnoles de « Lisette ».
Le projet des sans pagEs œuvre de manière volontariste à augmenter la part des femmes sur Wikipedia, mais la sous-représentation des femmes dans les articles (moins de 20%) correspond sans doute en partie à leur invisibilisation dans l’histoire, donc à la difficulté de sourcer. Tant pour l’histoire des femmes que celle des immigré.es en France, il est indispensable de s’interroger sur la fabrique des archives et évidemment de consacrer du temps et de l’argent à leur collecte, à leur conservation et à leur diffusion. Elles requièrent un peu plus d’énergie et d’inventivité que la gloire des grands hommes…

Ce qu’aurait été l’article Wikipedia sur Lise Palacios Le Bournot

Lise Le Bournot, née Elisa Palacios le 31 janvier 1918 à Alcira (Espagne, communauté valencienne) et morte le 11 décembre 2005 à Perpignan, est une résistante durant la Seconde Guerre mondiale, agente de liaison d’un maquis dans la Nièvre. Après-guerre, elle est étroitement impliquée dans la  Fédération française des ciné-clubs et en particulier des liens avec les fédérations hispaniques. 

Jeunesse

Elisa Palacios est née dans la région de Valence (Espagne) à Alcira (Alzira en valencien) de parents espagnols qui émigrent en France au début des années 1920, Agustin Palacios et Luisa Palacios, Tortosa y Toro. Son père est marchand de quatre saisons dans le secteur des Halles, à Paris, et elle est scolarisée à l’école dans le quartier Saint-Merri sous le prénom de Lise, en butte aux moqueries de ses camarades de classe du fait de ses origines étrangères. Bonne élève, elle pratique aussi le marathon et la natation.

Solidarité avec l’Espagne républicaines

Elle a 18 ans au moment du Front populaire et c’est lors d’une manifestation qu’elle rencontre son futur époux, le communiste Georges Le Bournot. Quand éclate la guerre civile en Espagne, elle s’implique dans l’aide aux réfugiés espagnols à Perpignan dans le Sud de la France, tandis que son frère cadet Agustin s’engage dans les brigades internationales.

Résistance et maquis

Recherché par la police, Georges Le Bournot se cache dans le Morvan : il y travaille comme bûcheron. Lise reste à Paris jusqu’en 1943, où elle confectionne et distribue des tracts clandestins en faveur de la Résistance. Elle est arrêtée puis libérée, faute de preuves et enceinte. Elle rejoint son mari à Bazolles (Nièvre). Avec les militants communistes Raymond Thiel (de nationalité suisse) et Maurice Magis (de nationalité belge), Georges installe un maquis dans la zone et confie la responsabilité militaire à Maurice Magis du fait de son expérience d’officier dans l’armée belge, mais il choisit une direction collective de quatre personnes (Lise et Georges Le Bounot, Raymond Thiel et Maurice Magis) et le maquis prend le nom du bébé que Lise met au monde en mars 1944 : Daniel. Le maquis Daniel a une position singulière car il est affilié aux Forces Françaises de l’Intérieur (FFI), mais dirigé par des communistes. « Lisette », telle qu’elle est appelée dans le maquis, est chargée du ravitaillement et du recrutement. A la Libération il lui est attribué le grade d’aspirante et reçoit l’ordre de la croix de guerre.

Après-guerre, le cinéma militant d’art et d’essai

Après la libération, elle gère les salaires des bûcherons français chargés d’abattre des arbres au titre de la réparation de guerre en Forêt Noire. Après ces deux années de travail entre Fribourg et Baden Baden (Allemagne), elle revient à Paris puis s’installe à Perpignan avec sa famille en 1954 

Elle crée le premier ciné-club de Perpignan et s’implique activement dans la fédération française des ciné-clubs (FFCC) et en particulier de la relation avec les pays de culture hispanique. Entre 1954 et 1971, elle contribue régulièrement à la revue de la FFCC Cinéma et représente la FFCC dans des festivals : Cannes, Benalmadena, Gotwaldov et elle apporte son assistance à la création de la fédération cubaine des ciné-clubs. 

Plus tard elle organise à Perpignan, des week-ends cinématographiques qui permettent à des Espagnols de voir des films censurés par la dictature franquiste. Elle crée également avec son mari Georges une salle d’art et d’essai, « le cinématographe », qui ferme lorsqu’ils prennent leur retraite dans les années 1980.

Elle prononce un discours lors l’inauguration de deux stèles commémorant le maquis Daniel près de l’étang de Vaux (Nièvre) le 15 août 1990 :

«  Dans la résistance contre l’occupant nazi, il y avait ceux qui se battaient pour la reconquête d’une patrie, c’est-à-dire d’un certain territoire et ceux qui se battaient pour des valeurs éternelles, et ceci n’importe où il fallait les défendre, là où la liberté était à conquérir. » Et elle rappelle plus loin que « le commandement du maquis Daniel était assuré par un belge, un français, un suisse et une espagnole. Et parmi nos gars, nous avions des espagnols, des italiens, un autrichien, et même un chinois ».

Lise le Bournot meurt le 11 décembre 2005 à Perpignan.

Tous mes remerciements à Daniel Le Bournot et Aurore Callewaert (directrice du musée de la Résistance) qui m’ont fourni des informations et des documents.

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Sensibiliser par le jeu

Les archives et la protection des données à caractère personnel sont des sujets transversaux qui ne sont pas immédiatement perçus par les agent.es d’une collectivité comme un aspect à part entière de leur travail.

Partager les éléments de contexte, présenter les règles et diffuser les procédures font partie de mes missions d’archiviste et de déléguée à la protection des données à caractère personnel. Néanmoins de par mon expérience d’enseignante dans le secondaire, et en particulier au collège, je sais qu’informer ne suffit pas à engager les personnes dans des changements de pratiques professionnelles.

Le jeu est une manière douce d’aborder des questions qui peuvent paraître arides : dans le cadre d’un événement bi-annuel, « On range ! » (une semaine de sensibilisation aux bonnes pratiques documentaire), lors de réunions de services ou au cours d’ateliers de formation du réseau des référent.es archives/RGPD, j’ai créé pour chaque session un jeu sérieux qui permet en un temps restreint de se familiariser aux principales notions de l’archivage et de la protection des données personnelles, tout en développement un esprit d’équipe et de coopération.

2022 #BalanceTesDonnées
On range… nos données !
2022
Time’s up Archives RGPD
Formation des référent.es archives RGPD
2022
SOS Fantôme (escape-game)
On range… nos archives papier !
2023
Plongée en eaux profondes
On range… nos lecteurs réseaux !
2023-2024
Garde-moi si tu peux
En cours de réalisation avec la Fabrique RH IDF
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Cartes sensibles de quartier

Réalisation de 5 parcours thématiques, dont les versions cartonnées sont empruntables à la bibliothèque Saint-Eloi. Ces parcours ont donné lieu à des promenades commentées organisées avec la bibliothèque :

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L’îlot Saint-Eloi : une histoire, des histoires

L’exposition « Ilot Saint-Eloi : une histoire, des histoires » est le début d’une démarche pour mettre en valeur le quadrilatère situé entre les rues Erard, de Charenton, Montgallet et de Reuilly, à Paris 12e.

L’image de « cité » colle à la peau de cet ensemble de barres et d’immeubles des années 1960-1970, construit à la place d’habitations et d’ateliers des 19e et 20e siècles.

A l’époque de sa reconstruction, habitants, commerçants, artisans n’ont pas eu leur mot à dire. L’îlot Saint-Eloi est une cité par décision politique.

Les habitants relogés sur place et les nouveaux se sont mobilisés pour ranimer ce quartier, certes moderne, mais d’où commerces et activités avaient presque disparu.

Malgré une opération « table rase », l’ancien quartier de 6500 habitants et 2900 logements a laissé des traces. Les cloches de l’église sont les mêmes depuis 1856. Des caves non remblayées provoquent des crevasses dans le square Saint-Eloi et aux alentours. Des immeubles anciens ont sauvé leur peau, parfois bien intégrés aux nouveaux, parfois non.

La rénovation de l’îlot brille par sa discrétion voire son absence dans les livres sur le 12e arrondissement. Est-ce parce que « l’îlot est la honte de tout l’arrondissement, » comme le disait le député à l’époque ? Veut-on oublier que l’opération a duré plus longtemps que prévu, que les expropriations ont pris le pas sur les cessions à l’amiable, que les habitants ont réclamé des aménagements et que leur avis n’a pas toujours été pris en compte ?

L’îlot n’a pas tout dit de son passé ni de sa transformation.

Les mettre au jour, c’est le sortir de l’oubli, lui rendre son histoire et donner aux habitants, petits et grands, une base sur laquelle imaginer l’îlot aujourd’hui.

https://ilotsainteloiparis.blogspot.com/p/expositio.html

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Théâtre et résistance des républicains espagnols exilés (n°13/14)

J’ai eu le grand plaisir de coordonner avec Odette Martinez-Maler le numéro double 13/14 de la revue Exils et migrations ibériques aux XXe et XXIe siècles, publiée en 2022.

Ce numéro de la revue est consacré au théâtre et à la résistance civile des républicains espagnols exilés en France entre 1939 et 1945. Dans ce contexte de contraintes maximales (camps d’internement et de concentration, Occupation allemande en France), le théâtre a pu servir de masque et de vecteur pour les activités clandestines de réfugiés (Rouges espagnols, mais aussi Juifs roumains, Belges, Polonais etc.) qui s’affrontaient au fascisme au niveau européen.  Ce numéro double n°13-14 s’organise autour d’un dossier central qui présente les archives personnelles de deux républicains espagnols réfugiés en France en 1939 : Julián Antonio Ramírez et Adelita del Campo. Ces archives renseignent, en particulier, l’expérience de la troupe itinérante de théâtre animée par ces derniers au sein de la 100ème compagnie de travailleurs étrangers (CTE) de l’automne 1939 à l’été 1940 dans la région Centre puis – au sein du 662e Groupement de travailleurs étrangers (GTE) – de l’été 1940 au 31 janvier 1942 (date de la dissolution de la troupe de théâtre). Les articles de spécialistes (d’histoire, d’histoire du théâtre, d’archivistique, de littérature, d’arts plastiques) réunis dans ce numéro, précisent le cadre historique et l’enjeu politique de l’activité culturelle déployée par Julián Antonio Ramírez et Adelita del Campo entre 1939 et 1945. Ils resituent celle-ci dans le temps long, en la reliant – en amont de la Retirada – au théâtre de la Seconde République durant la Guerre civile et, plus tard, aux engagements artistiques de ces exilés durant les années 1947-1948. En écho à ce dossier central, un article final étudie comment les dramaturges espagnols contemporains évoquent l’expérience des républicains exilés en France puis déportés dans les camps nazis ; il montre comment ces auteurs inventent, aujourd’hui, un « Théâtre de la mémoire » capable de devenir un « acte de résistance contre la déshérence mémorielle » à laquelle s’est trouvée confrontée la génération des petits-enfants de ces exilés et déportés. 

La rubrique « La fabrique des archives » propose, quant à elle, une réflexion sur plusieurs autres fonds d’archives privées liés à l’exil en France des Espagnols et des Portugais.

La rubrique « Du côté des publications » réunit un article de Marie-Christine Volovitch-Tavares sur l’ouvrage de Geneviève Dreyfus-Armand sur les républicains espagnols au camp de Rivesaltes D’un camp à l’autre, leurs enfants témoignent. Janvier 1941 -Novembre 1942, un article d’Édouard Pons sur la récente publication de l’intégralité des poèmes d’Antonio Otero Seco Poemas de ausencia y lejanía, par la maison d’édition Los Libros de la Herida et un compte-rendu par Óscar Freán Hernández de l’ouvrage de Ramón Villares, Exilio republicano y pluralismo nacional. España, 1936-1982.

Ce numéro comporte aussi des reproductions de six magnifiques dessins de Josep Bartolí analysés par Cécile Vilvandre Cañizares. Il est coordonné par Sandrine Saule (archiviste qui a participé au traitement et au catalogage du fonds d’archives de Julián Antonio Ramírez et Adelita del Campo déposées à la Biblioteca Valenciana Nicolas Primitiu ) et Odette Martinez-Maler, en collaboration avec Manuel Aznar-Soler et Cécile Vilvandre Cañizares.

Version numérique : https://www.cairn.info/revue-exils-et-migrations-iberiques-2022-1.htm

Des archives numérisées associées au numéro sont consultables sur le site du CERMI : https://cermi.fr/category/prolongements/

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Baleine sous béton : Autour de la Baleine fête ses 20 ans (et un peu plus)

Autour de la Baleine, littéralement : autour de la fontaine en mosaïque et du square que tout le monde appelle « square de la baleine », au cœur de l’îlot Saint-Eloi.

Parce qu’au départ, c’est un collectif de parents qui se mobilisent ensemble pour l’ouverture d’une classe supplémentaire, au 27 rue de Reuilly. Et qui gagne ! Lorsqu’on a carburé intensément à l’énergie collective dans un espace public, difficile ensuite de se contenter des murs étroits de nos appartements : ainsi est née l’idée de prendre la dalle Rozanoff l’espace d’une journée, d’y partager des moments de création artistique, de la musique, des bonnes choses à manger et de la bonne humeur. Ce fut de 2002 à 2015 la fête de la Baleine, annonciatrice de l’été.

Et puis en 2014 il y a eu le jardin partagé : 750 m² de terre au milieu d’une forêt de tours, la Baleine est devenue verte, Autour de la Baleine s’est enracinée au milieu du béton. Les humains se sont mis à vibrer avec d’autres vivants : orties et sauge, millepertuis et lilas, tulipier et cèdres, érables et bouleau, scarabées, merles et mésanges, vers de terre et libellules, abeilles et bourdons…

Ensemble nous avons fabriqué un commun : nous avons nourri la terre argileuse, creusé une mare, installé un compost, fait vivre notre association, et partagé de merveilleux moments avec voisin.es, ami.es et artistes sur notre terrasse en bois, auto-construite.

Le jardin la Baleine Verte aurait pu se racornir sur son espace clos et cultiver l’entre-soi, c’est une critique régulièrement formulée. La tentation du repli est toujours un risque : la dynamique d’aménagement d’un lieu interassociatif, impulsée dès 2017 par le Claje, a au contraire multiplié les échanges avec d’autres associations et permis de continuer de tisser des liens, ces liens solidaires qui libèrent. Nous avons inventé ensemble une gouvernance singulière pour le café Maya, inauguré en 2019.

Notre bébé commun nous accueille aujourd’hui pour cette rétrospective en images de 20 ans (et même un peu plus) d’activités joyeuses et conviviales.

Communs

Histoire de communs dans une commune :  « Les chemins d’Ouroux »

Au début, il y a l’envie d’atterrir dans le Morvan, le plus petit massif montagneux de France, une zone granitique enclavée dans la Bourgogne calcaire.

Mille fils m’y relient depuis longtemps déjà, mais j’ai, jusqu’à ces huit dernières années, considéré ce parc naturel régional essentiellement comme un espace de loisirs de citadine fatiguée de l’agitation de la ville : dans ma résidence secondaire, une petite fermette morvandelle, j’aimais être tranquille, loin des voisins (joie de l’habitat dispersé !), en famille ou avec des ami·es (citadin·es…). Balades en forêt, baignades dans les lacs, cueillette de mûres et de sureau pour faire les confitures.

Mon positionnement morvandiau s’est modifié à partir de 2015 : je commence à m’investir timidement dans un café associatif à Montsauche, l’Esquipot (ce qui veut dire « repas partagé » en morvandiau), peu de temps après la naissance d’un jardin partagé en bas de chez moi à Paris et que je m’engageais dans un projet pédagogique de réalisation de podcasts avec des élèves de 5e à l’occasion de la COP21, Du Persil dans les oreilles.

Bref, telle monsieur Jourdain, j’étais déjà de plein pied dans les communs sans avoir jamais entendu parler de la théorie des communs. La théorie est arrivée cinq ans plus tard, par une présentation des travaux d’Elinor Olström par un voisin prof de philo, membre du collectif Action Transition, créé dans la dynamique du jardin partagé : https://action-transition.org/2020/02/08/les-communs-une-presentation-de-manuel-ferrandiz/

En 2021, une nouvelle association est née à Ouroux-en-Morvan, « les chemins d’Ouroux ». Les objectifs définis lors de la déclaration de l’association balisent son périmètre :

  • Rassembler et de fédérer les habitants du village d’Ouroux-en-Morvan en menant une réflexion autour du sujet des chemins et des haies,
  • Prendre en compte la diversité des usages, humains et non-humains (découverte de la faune et la flore) ;
  • Définir leurs rôles passés, actuels et envisager les fonctions à venir (transmission de savoir-faire, partage des connaissances) ;
  • Etudier des modes de gestions et de gouvernances atypiques pour faire des haies et des chemins de véritables ressources.

Une copine y avait adhéré, je l’ai suivie.

Première surprise, une assemblée collégiale de douze personnes au lieu de l’habituel bureau avec président etc. J’avais lu des choses sur le sujet, je trouvais cela tentant, mais c’est la première fois que je rencontrais cette gouvernance « en vrai ».

Deuxième surprise, l’organisation de trois week-ends pour construire l’association : le premier dédié à la ressource (chemins communaux et haies), le second à la communauté qui gère la ressource (les habitant·es d’Ouroux dans leur diversité, et « autochtones », notamment les agris et néo-ruraux à demeure ou en pointillés comme moi). Le troisième, prévu en décembre, portera sur la gouvernance de la ressource.

Je n’ai participé qu’au deuxième week-end, mais on m’a raconté que le premier avait donné lieu à de vifs débats. Il avait été décidé de mieux prendre en compte la participation des agriculteurs, propriétaires des haies et en partie des chemins, qui s’étaient plaints d’être négligés. J’ai aussi appris que l’association avait été créée ad hoc pour demander une subvention car une jeune conseillère municipale de la commune avait identifié un appel à projets de la Fondation de France (https://www.fondationdefrance.org/fr/appels-a-projets/reinventer-nos-communs-pour-amplifier-la-transition-ecologique). Cela a permis de faire les premières actions  (https://www.parcdumorvan.org/le-parc-en-actions/ecomusee-et-patrimoine/lecomusee-du-morvan/les-ateliers-de-lecomusee-le-mois-de-la-plechie/) mais aussi de financer ces trois week-ends exceptionnels d’échanges et d’organisation de l’association avec des intervenant·es extérieur·es (https://socialtransfert.com/index.php/qui-sommes-nous/).

Ce temps de construction de « la communauté qui gère la ressource » a été passionnant : une soirée où plusieurs villageois (une seule femme…) ont raconté un moment collectif qui les avaient particulièrement marqués. Ils ont ainsi tissé un récit qui suggère une filiation entre le maquis Bernard (un chemin de mémoire est en partie financé par la municipalité), l’organisation du Bicentenaire de la Révolution française (Ouroux a été la commune de la Nièvre choisie par la commission), l’entraide lors de l’incendie d’une ferme, l’équipe de handball locale dans les années 70 et cette nouvelle association, les chemins d’Ouroux, qui raviverait les braises de la convivialité presque éteintes dans les années 1990-2020.  L’émotion était palpable dans la salle, où les agriculteurs FNSEA et chasseurs côtoyaient les néo-ruraux parisiens et hollandais écolos pour imaginer ensemble Ouroux en 2030, sur une grande feuille posée au milieu de chaque table :

  • Partager les savoir-faire et les savoirs
  • Convivialité, balade gourmande, veillée, champignons, crapiauds…
  • Ouroux : autonomie alimentaire et énergétique du village
  • Plus de place aux jeunes
  • Préserver les paysages
  • Les voies/voix d’Ouroux (création de radio Ouroux et podcasts)

Le lendemain, l’heure était au bilan du collectif et à la définition de règles pour mieux fonctionner ensemble. Il m’a semblé intéressant que ces règles ne soient pas posées a priori mais procèdent d’une logique d’amélioration à partir de l’expérience d’une première année. Des pistes ont été proposées, autour de ces quatre thèmes identifiés comme les plus importants :

  • Intégrer et sortir de l’asso ?
  • S’écouter ?
  • Réguler les tensions ?
  • Décider ensemble ?

Un moment a été aussi consacré à la structuration d’un projet de haie sur un chemin de la commune, la première étape étant l’inventaire des acteurs qui interviennent : du parc régional du Morvan au propriétaire du champ en passant par la commune, la ligue de la protection des oiseaux, le lycée agricole ou la fédération française de randonnée, avec un rôle soit dans la préservation, soit dans la gestion ou l’exploitation, soit dans l’usage de la ressource.

Un autre projet est porté par les Chemins d’Ouroux : la réouverture en chemin piéton de la voie du Tacot, une ligne de chemin de fer locale désaffectée depuis 1938. Elle nécessite un dialogue continu avec les forestiers et les agriculteurs, propriétaires des parcelles.

Que de temps et d’énergie pour réaliser quelques mètres de haies ou défricher un chemin … Ne serait-il pas plus simple d’utiliser la loi pour contraindre les propriétaires de parcelles agricoles à réaliser des haies durables ? Ou que la collectivité finance la réalisation de ces haies dont l’intérêt écologique n’est plus à démontrer ? La puissance publique ne pourrait-elle justement pas faire preuve de sa puissance en planifiant d’une main de maître cette action écologique ? Cela ne serait-il pas plus efficace ?

L’expérience concrète de s’organiser pour faire des haies ensemble peut paraître un projet dérisoire et fragile, pourtant elle me semble plus vivante que les solutions précédentes, sans pour autant les exclure. De fait, elle rapproche une grande diversité d’acteurs (les services publics y sont présents à différents niveaux comme alliés), elle permet du partage, y compris dans l’expression de désaccords, et encapacite les personnes qui y participent.

Elle bouscule aussi les catégories : la conseillère municipale, une des initiatrices de l’association, a-t-elle agit en tant qu’élue ? En tant que randonneuse et cueilleuse de baies sur la commune où elle habite ? En tant que jeune maman qui veut préserver les paysages ruraux pour ses enfants ? Faut-il choisir une étiquette ?

Je suis convaincue qu’il faut bifurquer mais j’ai le sentiment que plusieurs chemins sont praticables.

Le site internet de l’association : https://www.cheminsdouroux.fr/

Archives, Communs, Numérique

Archives du commun ?

https://fplab.parisnanterre.fr/ateliers/judithRevel-19032021.html

La semaine commence bien, avec la découverte d’un nouveau lieu d’élaboration coopérative d’une pensée critique, le FabPart Lab et l’écoute d’une philosophe passionnante, Judith Revel, qui est a animé en mars dernier un atelier théorique sur le thème « Archives du commun ? Conservation patrimoniale et valorisation participative ».

Une présentation d’abord de ce lieu singulier, le FabPart Lab pour fabrique participative en lien avec le labex de l’université Paris Nanterre Les passés dans le présent. Le FabPArt Lab se donne pour mission d’accompagner les projets du labex dans le développement de leur dimension contributive et participative et d’enrichir la réflexion autour de la médiation et la valorisation numérique des mémoires et des patrimoines., sous la forme d’ateliers pratiques et théoriques. Pour orienter les projets dans leurs dynamiques participatives et dans le cycle de vie de leurs données, le FabPart Lab constitue une base de connaissances sur les différentes phases de la recherche et les outils et services concernés.

Quant à l’intervenante, Judith Revel, elle est enseignante en philosophie à l’Université Paris Nanterre et directrice du laboratoire Sophiapol. Elle propose ici une critique politique de la notion de commun à partir du cadre de la conservation patrimoniale. Pour cette réflexion, elle s’appuie sur les échanges qui ont eu lieu au colloque Archivos del común en 2015, organisé par le musée et centre d’art Reina Sofia de Madrid.